La-Tribune Economique (l’UE est pour une Tunisie plus autonome) – Nous reprenons ci-après, le discours prononcé par Son Excellence Marcus Cornaro, Ambassadeur de l’UE à Tunis à l’ouverture du 25e Forum international de Réalités, tenu à Hammamet, ce jeudi 19 octobre 2023, sous le thème : « La Tunisie face aux mutations géopolitiques à l’ère de la digitalisation »
SE Marcus Cornaro, Ambassadeur de l’UE à Tunis : l’UE est pour une Tunisie plus autonome
- Monsieur le Président du Forum International de Réalités, cher ami Taieb ZAHAR,
- Monsieur le Président de l’Institut Européen de la Méditerranée, Senen FLORENSA,
- Chers collègues et amis ambassadeurs des Pays-Bas et de la Finlande,
- Honorables invités,
- Mesdames et Messieurs,
« C’est avec un grand plaisir que je participe à vos côtés ce matin à l’ouverture de cette 25ème édition du forum international de Réalités ; ce rendez-vous annuel d’échanges approfondis et de discussions riches autour de thématiques très importantes pour la Tunisie et ses partenaires. Depuis ma dernière participation avec vous, il y a trois ans, à l’édition d’avril 2021 placée sous le thème « la crise de la Covid et ses impacts géostratégiques dans l’espace euro-méditerranéen », tant de choses ont changé mais pas nos valeurs, nos principes et notre soutien européen constant à la Tunisie.
Je remercie également Si Taieb ZAHAR et toute l’équipe d’organisation de ce forum pour le choix du thème ô combien important pour cette année, à savoir : La Tunisie face aux mutations géopolitiques à l’ère de la digitalisation. C’est une occasion, plutôt rare je dois dire, d’échanger avec le monde académique en Tunisie sur ces grands changements à l‘échelle mondiale.
Ce forum vient vraiment dans un moment crucial des relations de l’Europe avec la Tunisie après la signature en juillet dernier d’un mémorandum d’entente visant à dynamiser notre partenariat dans tous les axes prioritaires pour les deux parties. A cette occasion, la présidente de la Commission Européenne, Mme Ursula Van der Leyen avait déjà affirmé à Tunis que « la Tunisie et l’Union européenne sont liées par une histoire et une géographie communes ; et en ces temps d’incertitudes géopolitiques, il est important pour nous d’approfondir notre coopération avec nos partenaires stratégiques »
Pour une paix durable et pérenne dans la région
Ce forum arrive aussi à un moment crucial sur le plan international suite au déclenchement à nouveau des affrontements à Gaza qui risque d’avoir un profond impact non seulement au Moyen Orient mais aussi autour de la Méditerranée.
Nous partageons avec la Tunisie et beaucoup d’autres le souhait d’arriver à une stabilité dans toute la région et à une paix durable et pérenne reposant sur une solution fondée sur la coexistence de deux États.
Ceci étant, L’UE a soutenu plus qu’un autre acteur international le peuple palestinien et son aspiration envers son propre Etat. Et je parle ici de ma propre expérience en tant que directeur voisinage de 2007 à 2012, des efforts entamés par l’EU pour soutenir au maximum l’Autorité Palestinienne comme entité future d’une solution de deux états. Ce soutien est encore bien présent et la Commission européenne vient de tripler l’aide humanitaire pour Gaza (de 25 M€ à 75 m€).
Crise au Moyen-Orient… Quelle vision de la voie à suivre ensemble ?
Je ne suis pas là pour alimenter les débats sur la crise au Moyen-Orient. Permettez-moi de partager une vision de la voie à suivre ensemble en vue de relever nos défis communs dans un monde en pleine mutation.
Cette crise pèse énormément sur le travail de l’Union pour la Méditerranée. Les rives nord et sud de la méditerranée auront une prochaine occasion de se rencontrer et de discuter lors du prochain Forum régional de l’Union pour la Méditerranée, qui s’attaquera, lors de son 15ème anniversaire à Barcelone, aux enjeux d’une intégration régionale encore à compléter. Pour le reste, je vous invite à suivre les déclara
tions et commentaires de nos capitales, qui seules font foi sur ce sujet très sensible.
Mutations géopolitiques… Un voisinage euro-méditerranéen plus stable est une priorité
A ce propos un voisinage euro-méditerranéen plus stable et plus prospère constitue une des priorités majeures de l’Union européenne, en particulier dans ce contexte de conflits et changements géostratégiques que nous vivons aujourd’hui un peu partout dans le monde.
Nos bonnes relations bilatérales avec la Tunisie sont dans ce contexte un élément principal. L’UE représente un des principaux partenaires de la Tunisie, si ce n’est le premier. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. Nos liens remontent à des décennies voire même des siècles. C’est ainsi que nous discutons avec tous les acteurs tunisiens, y compris les partenaires de la société civile, qui ont un regard veillant et « de terrain » sur la société tunisienne.
L’UE reste le partenaire le plus fiable et le plus pertinent dans la durée.
Notre vision du partenariat euro-méditerranéen, et en particulier avec la Tunisie, est donc évolutive et tient compte des enjeux économiques et politiques de la région. En d’autres termes, un partenariat basé sur l’échange, la confiance mutuelle, le respect et un dialogue franc et ouvert. Plus d’autonomie stratégique pour la Tunisie se traduit en plus de réformes : notre appui à ces chantiers en cours confirme notre engagement à consolider nos relations dans une logique « gagnant-gagnant ».
Dans ce contexte, notre partenariat tient aussi à la promotion des principes démocratiques et des droits de l’homme : les éléments essentiels de notre accord d’association.
Mémorandum d’entente
L’UE n’est pas seulement dans une posture de solidarité avec ses voisins de la rive sud de la Méditerranée mais surtout de partenariat pour faire face ensemble aux multiples défis dans différents domaines. La signature en juillet dernier du Mémorandum d’Entente avec la Tunisie n’en est qu’un témoin.
Cet accord englobe cinq piliers importants. La migration, qu’on discutera aujourd’hui, ne représente qu’un des axes de travail que nous comptons développer en commun avec la Tunisie. Les autres sont focalisés sur le développement du partenariat socio-économique avec la Tunisie à travers plus d’appui à une stabilité macroéconomique, à une transition énergétique verte, à un rapprochement entre les peuples et surtout à une croissance économique et commerciale durable dans différents domaines, notamment l’agriculture, l’économie circulaire, le transport aérien, les investissements et la transition numérique en particulier.
Je me réjouis tout particulièrement de ce que les deux parties se soient entendues, dans ce mémorandum, pour moderniser le cadre des relations commerciales et d’investissement. Vous savez que les relations commerciales sont régies par l’accord d’association conclu en 1995. Tant de choses ont changé depuis. Nous sommes donc en attente d’entamer ces discussions sur les éléments qui devraient ou pourraient être modernisés sur une base réciproque dans le but de faciliter les échanges, l’accès au marché et l’investissement.
Il s’agit là de promouvoir une approche équilibrée de l’ensemble des relations euro-tunisiennes, pour être au côté de la Tunisie, si elle le souhaite, afin de bâtir un modèle de développement à partir l’énorme potentiel de ressources du pays et qui sont encore à peine exploitées, y compris ses ressources humaines. Nous serons donc très contents de pouvoir modifier le paradigme de notre relation, en passant de la logique des dons à celle des investissements comme le souhaite la Tunisie.
Migration et mobilité… l’UE est consciente des défis imposés à la Tunisie, pays de départ et de transit
Certes, la question de la migration est un enjeu géostratégique majeur pour l’Europe comme pour la Tunisie qui est à la fois un pays de départ et de transit pour de nombreux migrants, et nous sommes conscients des défis que cela pose.
Nous savons que la migration pose des défis à tout le monde, qu’elle comprend nombreuses facettes – migration irrégulière, migration légale et politique d’asile, tutelle de droits fondamentaux – et qu’elle doit être gérée ensemble. La migration n’est pas un jeu à somme nulle où il y a des perdants et des gagnants. Ma chère collègue Josephine Frantzen, Ambassadeur des Pays Bas en Tunisie vous en dira un peu plus tout à l’heure lors deuxième panel ce matin sur « le phénomène migratoire : un enjeu géostratégique ».
Mais je peux confirmer déjà que L’UE considère, en effet, que les enjeux d’employabilité et de mobilité sont au centre de son partenariat avec la Tunisie, pour promouvoir une gestion de la migration au travers d’une approche équilibrée et globale – en nous appuyant entre autres sur les bonnes pratiques de nos programmes d’appui à la mobilité et l’employabilité des jeunes déjà en cours, comme le programme régional pour la mobilité des talents THAMM ( (1000 bénéficiaires) ou encore le projet JEUN’ESS (137 entreprises créées et plus de 1340 emplois consolidés).
EU œuvre pour une forte Coopération économique et scientifique basée sur la fiabilité
L’UE est donc un partenaire prévisible et fiable. Juste pour rappel, l’investissement européen représente 88 % des IDE en Tunisie en nombre d’investissement et 48% en valeur. Plus de 300 entreprises européennes sont installées en Tunisie.
Au cours des 9 premiers mois de 2023, les exportations tunisiennes vers l’UE (71% du total des exportations) ont augmenté de +14 %. La balance commerciale de la Tunisie avec l’UE est quasiment équilibrée, alors qu’elle est déficitaire avec d’autres partenaires.
Notre coopération ne concerne pas uniquement le volet économique. Une grande partie de notre appui est réservée également à la coopération scientifique, dont nous fêtons ces jours-ci 20 ans d’existence, et qui a vu la mise en œuvre de plusieurs projets (Erasmus, Erasmus +, Horizon Europe…) visant à permettre aux étudiants, aux chercheurs et aux compétences tunisiennes d’accéder à des opportunités de formation supplémentaire en Europe…
Il apparait dès lors primordial de créer davantage et de meilleures opportunités pour la jeunesse tunisienne à la fois en termes d’accès à la formation et au marché d’emploi, mais aussi en développant les voies légales de migration et les schémas de mobilité avec plusieurs Etats Membres. A la fin de ce Forum vous allez discuter de comment éviter la fuite de jeunes cerveaux et surtout la fuites des idées tunisiennes. Nous pensons cependant qu’il serait paradoxal si le voyage des citoyens tunisiens à la recherche d’opportunités d’emploi en Europe se transforme là aussi en une perte de potentiel pour l’essor du pays. Nous souhaitons vous appuyer pour que cela n’arrive pas.
Digitalisation en Tunisie… De très bons résultats quant à l’évolution des startups et des technologies
Je voudrais aussi saluer par cette occasion les efforts entrepris par la Tunisie sur la voie de la digitalisation, et me réjouir des résultats enregistrés dans ce cadre tant au niveau de l’évolution des startups qu’au niveau du renforcement technologique. D’ailleurs mon cher collègue Teemu Sepponen, Ambassadeur de la Finlande, vous donnera son témoignage cet après-midi lors du panel sur « l’infrastructure et l’accès aux technologies comme condition préalable à la transformation digitale »
Quand je me réfère à des relations étroites entre l’Europe et la Tunisie, notamment en matière d’appui à la digitalisation, je ne peux passer sans parler du projet MEDUSA qui permettra à la Tunisie de rejoindre les pays reliés au réseau du haut débit européen à travers le câble sous-marin de fibres optiques et que la Commission finance avec la BEI à hauteur de 40ME.
Cette nouvelle infrastructure de communication sous-marine reliant les deux rives de la Méditerranée, avec une longueur de 7 100 km, sera le plus long câble sous-marin à fibre optique en Méditerranée. C’est un projet qui à lui seul donne une image concrète de l’envergure de notre désir mutuel d’être reliés les uns aux autres.
Ce sera aussi une réelle opportunité aux startups tunisiennes afin de développer leurs activités de et vers l’Europe, et se doter des moyens technologiques leur permettant de bien se positionner sur les marchés européens et aussi régionaux.
Cela s’ajoute à un appui européen à la digitalisation de la Tunisie dans différents domaines, tant bien au niveau de l’administration publique qu’au niveau des acteurs du secteur privé.
La plupart de nos programmes de coopération avec les différents acteurs tunisiens englobe en effet un axe de digitalisation visant à les soutenir dans leurs processus de numérisation et à se doter des nouvelles technologies.
Je cite là comme exemples : les centres 4.0 (Neotex 4.0, BiotechPole Sidi Thabet, et l’Agrotech 4.0 Center du Pôle de Compétitivité de Bizerte), dont l’objectif est d’accompagner les entreprises tunisiennes dans leur transition vers l’Industrie 4.0 – ou encore le lancement en juin dernier du projet Swafy, Science With And For Youth, visant notamment le renforcement de l’esprit de créativité et d’entrepreneuriat innovant chez les jeunes…
Soutenir la Tunisie dans la mise en place de ses réformes, aussi urgentes que difficiles soient-elles
Tout cela pour vous dire l’importance et l’intérêt accordés par l’Union européenne au développement socio-économique de ses voisins méditerranéens, et plus particulièrement la Tunisie.
Cela appelle toutefois à des réformes aussi urgentes que difficiles. Nous sommes prêts à soutenir la Tunisie dans la mise en place de ses réformes permettant de relancer son économie et aussi d’attirer des investissements (le MoU a d’ailleurs prévu la tenue d’un forum d’affaires Tunisie-UE, déjà en préparation).
Depuis mon arrivée en Tunisie, il y a trois ans, j’ai tenu à écouter des entrepreneurs et investisseurs en Tunisie, notamment européens et tunisiens, qui m’ont transmis tous leurs inquiétudes face aux difficultés qu’ils rencontrent et au manque de prévisibilité.
Pour être plus clair, je peux vous confirmer qu’on partage tous l’ambition du pays pour surmonter ses difficultés économiques et être plus autonome, mais cela ne peut avoir lieu qu’en passant à une vitesse supérieure dans la mise en œuvre des réformes que la Tunisie a conçues et décidées elle-même.
Nous sommes convaincus que le succès des réformes est essentiel pour la prospérité à long terme de la Tunisie. Une approche inclusive et transparente pour les réformes tout comme pour le processus politique est aussi essentielle afin d’aboutir à une croissance durable, à la consolidation démocratique et à un équilibre institutionnel.
Mêmes défis et mêmes destins… Travaillons donc tous ensemble, en partenariat, dans le respect mutuel
Un exemple de cela est l’énergie ou la coopération avance à grands pas car des reformes tunisiennes sont en cours (exemples : le projet du régulateur indépendant dont les consultations publiques ont eu lieu en 2023 et le projet de loi devrait aboutir en 2024 – la stratégie nationale de l’hydrogène vert en cours de préparation…)
Pour conclure ce tour d’horizon, je dirais que nos destins sont les mêmes, nos défis aussi et nous n’avons qu’à s’y mettre tous ensemble, et dans un partenariat plus que jamais dans le respect mutuel. L’objectif d’un partenariat stratégique toujours plus profond est tout à fait réalisable. L’EU sera toujours présente pour le mettre en œuvre avec vous.
J’encourage la Tunisie d’être courageuse en mettant en œuvre ses réformes annoncées. Je confirme que l’UE pour sa part reste prête à l’appuyer.
Je souhaite plein succès aux travaux de ce forum. Et je vous remercie de votre attention.