La-Tribune Economique (QNB) – Avec une forte reprise économique après l’effondrement temporaire produit par différentes variantes de la pandémie Covid-19 depuis le quatrième trimestre 2020, certains marchés émergents (ME) en Asie bénéficient d’une “grande réouverture asiatique”. Toutefois, les effets secondaires de la réouverture asiatique peuvent être contrebalancés par les effets secondaires de la conjoncture mondiale, notamment due aux prix des produits de base qui demeurent t toujours élevés et les principales banques centrales continuent à augmenter leurs taux directeurs de manière agressive. La hausse des factures d’importation et le resserrement des conditions financières internationales pèsent souvent sur les balances extérieures des pays émergents vulnérables. Il est donc de plus en plus important de suivre et d’analyser les différentes mesures des vulnérabilités extérieures des pays émergents.
Nous abordons la vulnérabilité extérieure sous deux angles : la balance des comptes courants et le niveau global des réserves officielles de change. Les pays dont la balance courante est déficitaire doivent la financer soit par des capitaux étrangers, soit en puisant dans leurs propres réserves de change. En période de crise, lorsque les conditions économiques ou financières mondiales sont difficiles, les flux de capitaux peuvent se tarir ou s’inverser, ce qui rend encore plus difficile le financement des déficits sans puiser dans les avoirs en devises. C’est pourquoi les balances des comptes courants sont une mesure importante pour évaluer l’exposition des pays aux flux de capitaux et au concept de risque. Le graphique ci-dessous indique le niveau des réserves de change par rapport au déficit ou à l’excédent du compte courant prévu pour 2022.
Les réserves officielles de change peuvent constituer un filet de sécurité important pour absorber les chocs extérieurs. Toutefois, le niveau des réserves de change doit être considéré dans son contexte, en tenant compte non seulement des besoins de financement à court terme du compte courant, mais aussi d’autres paramètres macroéconomiques clés. Traditionnellement, les réserves de change d’un pays sont considérées comme adéquates lorsqu’elles sont supérieures à trois mois d’importations et qu’elles sont suffisantes pour couvrir 20 % du volume total de la monnaie locale détenue par le public ou au moins une année complète d’obligations liées à la dette extérieure. Le Fonds monétaire international (FMI) a créé un indicateur composite utile pour ces mesures, appelé la métrique d’adéquation des réserves du FMI. Les pays sont considérés comme détenant des niveaux adéquats de réserves de change lorsqu’ils peuvent couvrir le seuil de 100 à 150 % de la métrique du FMI.
Notre analyse porte sur la position du compte courant et les réserves de change des quatre grandes économies émergentes de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), à savoir l’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie et les Philippines, et tire des conclusions sur leur résistance aux chocs mondiaux ou régionaux potentiels.
En dépit d’une forte exposition au cycle économique mondial (exportations manufacturières et tourisme) et d’un léger déficit de la balance courante, la Thaïlande est toujours en bonne position pour faire face à des changements soudains dans les flux de capitaux, même si le tourisme international est encore en baisse de plus de 80 % par rapport aux niveaux d’avant la pandémie et si les termes de l’échange se détériorent en raison de la hausse des prix des produits de base. Le pays a enregistré durant des années des excédents considérables de sa balance courante et a accumulé 220 milliards de dollars de réserves officielles de change, ce qui couvre confortablement 249 % du critère d’adéquation des réserves du FMI.
Les Philippines sont un emprunteur extérieur clair, ce qui signifie qu’elles enregistrent un déficit de la balance courante. Avec un déficit commercial important, qui n’est actuellement que partiellement compensé par les transferts de fonds de la communauté des travailleurs expatriés philippins, le pays devrait enregistrer un déficit de la balance courante représentant environ 3 % du PIB. Si les déficits sont en partie dus à une saine poussée d’investissements indispensables, les prix élevés des matières premières pèsent lourdement sur les comptes extérieurs du pays. Jusqu’à présent, la détérioration de la position extérieure a été considérable. Toutefois, les autorités monétaires contrôlent d’amples réserves de change. Les réserves officielles, d’un montant de 99 milliards de dollars, couvrent 230 % du critère d’adéquation des réserves du FMI.
La Malaisie, grand producteur de produits manufacturés et de matières premières, est une autre économie robuste de l’ANASE. Comme la Thaïlande, le pays a également enregistré des excédents persistants de sa balance courante durant des années. En tant qu’exportateur net de pétrole et de produits de base legers, la Malaisie a bénéficié de la vigueur générale des marchés des produits de base, ce qui s’est traduit par un excédent plus important de la balance courante. Les paramètres d’adéquation des réserves de la Malaisie sont beaucoup plus stricts que ceux de la Thaïlande, la banque centrale détenant moins de la moitié du montant des réserves de change de la Thaïlande, soit 109 milliards de dollars. Toutefois, la Malaisie se situe toujours dans la zone sûre de la métrique d’adéquation des réserves du FMI, avec une couverture de 122 %.
L’Indonésie, traditionnellement le grand pays de l’ANASE le plus exposé aux chocs extérieurs potentiels, bénéficie aujourd’hui d’un boom des matières premières ayant soutenu ses recettes extérieures, malgré la faiblesse des recettes du tourisme. Les prix élevés du charbon, du gaz et de l’huile de palme sont particulièrement favorables à l’Indonésie, qui devrait enregistrer cette année un excédent de sa balance courante d’environ 4,5 % du PIB, après avoir enregistré l’an dernier et durant neuf années consécutives de déficit. Toutefois, cet excédent ne devrait pas durer plus de deux ans, car la relance de l’économie et la réalisation d’un nombre important de projets d’investissement nécessiteront des importations supplémentaires. Les réserves officielles de change de l’Indonésie s’élèvent à 132 milliards de dollars, couvrant 111 % du critère d’adéquation des réserves du FMI.
Dans l’ensemble, les grandes économies de l’ANASE sont relativement résistantes aux changements brusques de conjonctures de risque et des flux de capitaux. Cette résistance est une source importante de soutien dans un contexte d’incertitude accrue liée au resserrement financier mondial et aux conflits géopolitiques.